Un Dogue de Bordeaux âgé de 10 mois est présenté à son vétérinaire pour une masse fluctuante et indolore apparue progressivement sous la gorge.

Ce dernier a réalisé une ponction qui a révélé une lésion inflammatoire suppurée pyogranulomateuse associée à des bactéries. La conclusion du laboratoire était en faveur d’un abcès.

Un traitement anti-inflammatoire et antibiotique a procuré une nette amélioration mais celle-ci a été de courte durée car la masse est réapparue dès l’arrêt du traitement.

Un mois plus tard, elle a été retirée par le confrère qui a confirmé le diagnostic du laboratoire. 45 jours ont passé et une nouvelle masse d’aspect fluctuant s’est installée progressivement. Le chien continuait à très bien aller et ne présentait plus de température. Le confrère a effectué une paracentèse qui l’a mis sur la voie de la mucocœle.

L’animal a ensuite été référé pour l’intervention chirurgicale.

Technique chirurgicale

Le chien est positionné latéralement, le cou posé sur un coussin afin de tendre les tissus et d’exposer correctement le site chirurgical (photo 1). Une incision est pratiquée verticalement de la base du conduit auditif jusqu’à la veine linguo-faciale, en avant de la branche montante de la mandibule.

Photo 1 : Positionnement du patient pour l’exérèse des glandes mandibulaires et sublinguales.

Il existe une capsule fibreuse commune aux glandes sublinguale et mandibulaire. Elle est incisée et la dissection des deux glandes commence. Il n’est pas possible d’en retirer une sans léser l’autre. La glande sublinguale est située rostro-ventralement par rapport à la glande mandibulaire.
• Des écarteurs de Gelpi sont disposés de manière orthogonale afin de dégager correctement le champ opératoire et de bien visualiser le site chirurgical (photo 2). Une branche du second nerf cervical court le long de la capsule, il convient de l’éviter en l’incisant.

Photo 2 : Apparition de la glande mandibulaire une fois la capsule incisée.

Une pince d’Allis est placée sur la glande mandibulaire afin que l’aide exerce une traction constante vers l’arrière, ce qui facilite la dissection (photo 3). Celle-ci doit être minutieuse et précise.

Photo 3 : Une pince d’Allis est tenue par l’aide qui tire sur la glande caudalement.

Les branches de l’artère et de la veine grande auriculaire sont ligaturées. La dissection se poursuit rostralement jusqu’au croisement des canaux des glandes mandibulaire et sublinguale avec la branche linguale du nerf trijumeau. Il est parfois nécessaire de réaliser une myotomie du muscle digastrique pour poursuivre la dissection le plus rostralement possible. Une ligature résorbable 2/0 ou 3/0 est alors posée sur les canaux avant de les sectionner. La photo 4 illustre les glandes mandibulaire et sublinguale juste après exérèse.

Les différents plans sont suturés individuellement (capsule, tissu fibreux, plans sous-cutanés et cutanés) après une abondante irrigation. En fin d’intervention, la mucocœle est ponctionnée afin de ne pas laisser de salive infiltrée dans les tissus. Un drain peut être posé pour quelques jours.

Photo 4 : Les glandes mandibulaire et sublinguale après exérèse.

Les soins postopératoires sont simples : pansement collé sur la plaie, éventuellement un carcan peut-être posé si le chien a tendance à se gratter.

L’examen de la pièce d’exérèse doit révéler la glande-mandibulaire, la portion mono stomatique de la glande sublinguale dans son entièreté et la plus grande partie de sa portion poly stomatique (photo 5).

Photo 5 : Examen de la pièce d’exérèse.

Discussion

La mucocœle salivaire (ou sialocœle) est une accumulation de salive dans un espace externe à une glande salivaire ou de son canal. La mucocœle n’est pas assimilée à un kyste, ce dernier étant une masse liquidienne entourée par une membrane. Elle correspond à une collection diffuse de salive produisant une inflammation au sein des tissus dans lesquels elle se propage.

Sa prévalence est assez faible (<0,3 %). L’origine précise de la mucocœle est souvent floue mais il est communément admis qu’elle peut être consécutive à des lésions au niveau d’une glande salivaire ou de son canal. Les causes de lésion peuvent être variées : sialolithe, corps étranger, migration erratique de larves de D. Immitis, morsure, lésion iatrogène parfois (trauma

chirurgical, ligature du canal parotidien lors d’une énucléation), tumeur. Une sialadénite peut également être à l’origine d’une mucocœle. Un cas de mucocœle zygomatique a été décrit suite à une hémi-maxillectomie.

Le chien possède 4 paires de glandes salivaires (parotide, sublinguale, mandibulaire et zygomatique) pouvant être à l’origine de mucocœle. D’autres glandes accessoires sont décrites mais elles n’ont pas d’influence clinique (photo 6). Le chat possède une cinquième paire de glandes (glandes molaires).

Les chiens sont largement plus atteints que les chats. Il n’y a pas spécialement de races prédisposées, quoique le Berger allemand, le Caniche nain et le Teckel semblent être plus souvent touchés que les autres races. Il n’y aurait pas non plus de différence significative entre les mâles et les femelles. Les animaux peuvent être atteints à n’importe quel âge.

Selon la glande atteinte, quatre types de mucocœles sont décrites : mucocœle cervicale, ou grenouillette (la plus commune), mucocœle sublinguale ou ranula, mucocœle pharyngienne, mucocœle zygomatique (la plus rare). Un cinquième type, dit complexe, résulte de l’atteinte simultanée de plusieurs glandes.

Cliniquement, la mucocœle cervicale se manifeste par un
• gonflement non douloureux, fluctuant d’apparition progressive. Afin de distinguer la glande responsable de la mucocœle, il suffit de placer le chien sur le dos, la pesanteur emporte alors la masse du côté de la glande atteinte.

Photo 6 : Schéma des différentes glandes salivaires chez le chien selon Barone.

Non traitée, la mucocœle cervicale peut prendre des proportions importantes. Les photos 7 et 8 représentent respectivement une mucocœle cervicale sur deux chiens croisés. L’un a été opéré, l’autre euthanasié suite à une tumeur hépatique.

Photo 7 : Mucocœle cervicale sur un chien croisé de 9 ans.

Lors de mucocœle pharyngienne, des symptômes respiratoires ou digestifs (dyspnée, dysphagie) peuvent apparaître. Elle doit entrer dans le diagnostic différentiel des obstructions aiguës ou chroniques des voies respiratoires supérieures.

Photo 8 : Mucocœle cervicale sur un chien croisé de 10 ans.

La ranula est une masse de taille variable pouvant provoquer des troubles de la préhension ou des saignements oraux.

Enfin, la mucocœle zygomatique peut induire une énophtalmie, un prolapsus de la glande nictitante, une inflammation périorbitaire, une douleur à l’ouverture de la bouche et un strabisme divergeant.

Pour confirmer la mucocœle, l’examen de choix est la paracentèse qui révèle un liquide généralement clair, filant, jaunâtre ou teinté de sang. Une cytologie peut compléter le diagnostic pour vérifier s’il existe une composante inflammatoire ou infectieuse.
• La sialographie est une méthode qui permet d’explorer l’intégrité des canaux salivaires. Elle consiste en l’injection d’un produit de contraste iodé de manière rétrograde par les papilles des différents canaux. L’injection est réalisée à l’aide d’un petit cathéter. En cas de rupture du canal, on observe une diffusion tissulaire du liquide avant qu’il n’atteigne la glande salivaire (photo 9).
La photo 10 illustre ce cas sur un jeune Golden Retriever qui présentait une masse fluctuante en-dessous de l’œil.

Photo 9

Sialographie réalisée dans le conduit parotidien sur un jeune Golden Retriever. Le canal est bien visible à partir de la bouche (flèches du bas). Ensuite, le produit de contraste diffuse au sein des tissus sans atteindre la glande (flèches du haut).

Le diagnostic différentiel des mucocœles comprend des abcès, des processus inflammatoires ou nécrotiques, des hématomes ou des séromes, des phénomènes tumoraux (lymphomes par exemple) et des œdèmes de la face.

Photo 10 : Mucocœle parotidienne sur un jeune Golden Retriever suite à un trauma.

Le pronostic de la mucocœle cervicale est favorable à 95 %. Les causes d’échec comprennent un retrait partiel de la glande sublinguale ou l’apparition d’une mucocœle controlatérale.

Les complications postopératoires sont rares et souvent inhérentes à des ponctions répétées qui peuvent engendrer un phénomène septique et inflammatoire. Un léger sérome peut être constaté dans les jours qui suivent l’intervention.

Remerciements

Je tiens à remercier le Dr Sébastien ETCHEPAREBORDE (CHV des Cordeliers) pour le partage de son expérience sur la chirurgie de la mucocœle.

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